Consolation : la force du réconfort

Le célèbre psychiatre Christophe André publie un nouvel ouvrage, Consolations, dans lequel il nous invite à l’empathie, à aider l’autre à se reconstruire tout en acceptant sa propre vulnérabilité. Car l’objet de la consolation n’est pas de prétendre supprimer la peine, mais de la rendre plus supportable. Morceaux choisis d’un entretien qu’il a accordé à Madame Figaro en janvier 2022.

« Madame Figaro. – Avez-vous écrit Consolations, celles que l’on reçoit et celles que l’on donne pour nous consoler, nous qui traversons une période inédite de crises sans fin ?

Christophe André – J’avoue que le projet est bien plus personnel… Je l’ai débuté il y a six ans, au moment où j’ai appris que je souffrais d’un cancer du poumon, bien que non-fumeur. J’ai basculé, comme tous les malades, dans ce monde de solitude, de fragilité, d’angoisse… Et j’ai découvert la magie de la consolation auprès des soignants. On le sent charnellement. J’ai eu envie de me pencher sur cette expérience universelle. La consolation, nous en avons et en aurons tous besoin un jour ou l’autre. C’est une petite réserve d’oxygène qui nous permet, face à l’hostilité du réel, de tenir, de ne pas sombrer dans la peur, le chagrin, le désespoir. Sans ces microsources de consolation, la vie serait intenable.

Vous insistez sur ce point : nous sommes une espèce consolatrice – nous, les humains. Cela nous est-il propre ?

Christophe André – L’art de la consolation est une prérogative de certaines espèces. Toutes ne se valent pas ! Chez les félins, on laisse mourir celui qui est blessé pendant une chasse, on ne le réconforte pas, contrairement aux baleines, aux dauphins, aux éléphants et à certaines espèces de singes. Selon la psychologie volutionniste, cet instinct de consolation est un avantage adaptatif certain. Il s’agit de préserver l’espèce, de ramener celui qui souffre dans le groupe, auprès de ses pairs – ne pas le laisser s’engluer dans son chagrin et en mourir. C’est ce qui se passe chez les humains. Consoler, du latin consolari, signifie étymologiquement : rendre au souffrant son entièreté, réparer sa partie blessée, le remettre en lien avec les autres. Ça n’est pas si désintéressé que cela. Car les individus consolés redeviennent utiles au groupe et ne démoralisent plus les autres par contagion émotionnelle. Bref, la consolation relève, aussi, de l’intelligence collective.

Il n’est pas facile, pourtant, de consoler… On craint d’être maladroit, et on l’est souvent…

Christophe André – Face à l’autre, qu’il soit malade, endeuillé, on a en effet peur de mal faire, surtout si on est soi-même heureux, en bonne santé. De fait, l’individu blessé par la vie est en quelque sorte un accidenté, polytraumatisé, à manipuler avec précaution. La règle d’or ? Prendre son temps. La consolation ne doit pas être une effraction. On doit y aller tout doucement, sans brusquer. Le « consolator praecox » cherche plus à se soulager de sa propre souffrance empathique qu’à consoler l’autre. Dans un premier temps, il faut se contenter de petites choses. Dire : « Je suis là », « Ça va aller », « C’est OK », toucher le bras ou la main. Si l’on cherche à greffer de facto du positif sur cette douleur, on provoquera un rejet. Il n’y a pas très longtemps, une jeune amie a vécu la pire souffrance – la perte de son enfant. Je lui ai écrit ce simple SMS : « Je pense à toi, je t’embrasse. » Elle m’a confié, il y a peu, que ces simples mots lui avaient été bénéfiques.

Les réseaux sociaux sont devenus précisément des « chaînes de consolation ». On y annonce le décès de ses proches, on y témoigne de son empathie à grand renfort de RIP et d’émoticônes prière. Cela console-t-il vraiment ?

Christophe André – Ils ont le mérite de remettre du lien entre ceux qui souffrent, ce qui est énorme. Sur TikTok, on voit beaucoup de personnes en marge – personnes de petite taille, en surpoids, trans en pleine transition, etc. – à qui ça fait un bien fou de se retrouver entre pairs. Car il est consolateur d’être ainsi relié à sa communauté. Pour moi, les réseaux sociaux ne sont véritablement apaisants que s’ils viennent s’ajouter au face-à-face. D’autant plus qu’à long terme, parce qu’ils dispersent notre attention, ils ne sont pas réellement consolateurs. Regarder une série Netflix, scroller sur son écran… ne nous encourage pas à la concentration. Or, on le sait maintenant, c’est précisément l’attention au moment présent, la concentration intense, qui nous rendent heureux.

L’attention au présent… C’est ce que nous apporte la méditation ?

Christophe André – C’est toute la différence entre le bien-être et le bonheur. Si vous êtes à la terrasse d’un café en pianotant avec vos amis sur votre téléphone, vous pouvez éprouver une forme de bien-être superficiel. Mais si vous êtes en pleine conscience, au soleil, savourant ce qui est là, vous switchez du bien-être au bonheur. D’ailleurs, cela s’entraîne. Méditer tous les jours nous enrichit sur le moment, mais nous permet aussi de nous entraîner pour les peines à venir. Le jour où quelque chose nous accable, on a pris l’habitude de s’autoconsoler, de laisser aller nos pensées négatives, comme les nuages dans le ciel. Méditer nous enseigne à prendre la détresse et le chagrin pour ce qu’ils sont : des états mentaux passagers, qui convoquent notre patience. Pendant une émission de La Grande Librairie, Christian Bobin raconte que les jours où il a la tête « comme du papier froissé », il attend, « parce qu’un jour, les portes fermées se rouvriront ». C’est l’une des phrases les plus consolatrices que je connaisse. Les rituels, les routines, comme bricoler, jardiner, marcher nous « divertissent » aussi, au sens étymologique et pascalien du terme, en nous détournant de notre souffrance. Pour que cela soit réellement consolateur, mieux vaut l’effectuer sans but précis. Marcher pour le plaisir de marcher, par exemple. Tout cela nous remet dans le grand mouvement de la vie. (…)

Vous écrivez que l’on peut non seulement se consoler mais aussi aimer profondément nos blessures. N’est-ce pas un peu utopique ? Voire hypocrite ?

Christophe André – C’est pourtant ce que les Japonais nous apprennent en cultivant l’art du kintsugi, c’est-à-dire la réparation des objets cassés avec de la laque d’or, ce qui donne de magnifiques cicatrices. Cette sagesse implique que non seulement on panse les blessures, mais on les rend belles et visibles. J’aime cette pratique dans l’air du temps, qui consiste à réparer plus qu’à jeter. D’autant plus que j’ai rencontré moi-même des humains kintsugi, qui ont pleuré, souffert et ont recouvert leurs cicatrices de sagesse. Ils ont traversé un bout d’enfer et en sont sortis plus beaux. (…) »

Vous pouvez retrouver cet entretien dans son intégralité en cliquant sur le lien ci-dessous :

Christophe André : “La consolation est une petite réserve d’oxygène qui nous permet de ne pas sombrer” – Madame Figaro (lefigaro.fr)

Pour aller plus loin,

https://www.christopheandre.com/

Méditer 3 minutes avec Christophe André

Auteur : Sylvie Pronost

Un site pour vivre mieux : relaxations guidées, outils de sophrologie et philosophie de vie. Un site antistress :)

Un commentaire

  1. Merci Sylvie, pour ce regard bienveillant et réparateur sur les autres et sur nous-mêmes : nous en avons tellement besoin ! c’est une douceur à consommer sans modération

    Aimé par 1 personne

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