Cette sainte nonne était vieille, cent ans bientôt, bon cœur, bon œil, mais mal partout et souffle court. Elle n’en avait plus pour longtemps. La supérieure du couvent, brave femme compatissante et toute pétrie de bon sens, lui dit un soir :
– Sœur Geneviève, vous souffrez inutilement. Je sais ce qui ferait du bien à ces douleurs crépusculaires qui vous empêchent de dormir. Trois tasses de cognac par jour, le matin, à midi, le soir. Vous n’en seriez pas plus alerte, mais plus paisible, sûrement.
– Quoi, de l’alcool ? grogna l’ancêtre. Jamais en quatre-vingt-quinze ans je n’ai succombé au péché. Printemps, été, automne, hiver, je n’ai bu que du lait de vache, et maintenant, si près de Dieu, vous voudriez me faire tomber, malheureuse, en ivrognerie ? Jamais, prieure satanique, m’entendez-vous ? Vade rétro !
Les vieillards ont de ces excès. On leur veut du bien, ils renâclent. Leur esprit souffre aussi, parfois, de rhumatismes articulaires. La prieure comprit cela.
– Allons, donnez-lui de son lait, dit-elle à la sœur cuisinière, mais, entre nous, ajoutez-y une rasade de cognac. Elle s’en réchauffera les os sans que son âme s’épouvante.
Ainsi fut fait. Un mois durant la sainte vieillarde sourit à chaque bol qui lui venait, puis un jour chacune, au couvent, sut qu’elle ne verrait pas le soir. Toutes ses sœurs, autour du lit, s’assemblèrent benoîtement. On attendit son dernier souffle. Vers midi, à l’heure du lait, elle eut un bref regain de vie. Elle prit la main de la prieure et lui dit, l’œil illuminé :
– Ne vendez jamais cette vache.
Ce furent là ses derniers mots. Elle rendit l’âme en souriant.
(Henri GOUGAUD, Petits contes de sagesse pour temps turbulents)